Le 30 décembre 2003, Joan Didion, écrivaine, journaliste et scénariste américaine, perd son mari, victime d'une crise cardiaque. A cette époque, leur fille unique est plongée dans le coma. Elle en sortira pour assister aux funérailles de son père, mais après de nouvelles complications, elle s'éteindra dix-huit mois plus tard, au moment même où est publiée "L'année de la pensée magique", récit dans lequel sa mère revient sur la cruelle expérience de l'absence définitive de son mari. Joan Didion choisira elle-même, quelque temps après cette parution, d'en écrire l'adaptation théâtrale dans laquelle elle abordera aussi l'épreuve de la mort de sa fille. Les souvenirs de leur vie commune affluent. L'auteure s'y berce, s'y perd, tente de se ressaisir par moments, abdique à d'autres. Paradoxalement, dans cette double descente au cœur du deuil et de la souffrance, Joan Didion ne se laisse jamais aller au pathos ou à l'apitoiement. Plus qu'aux sentiments, c'est aux faits qu'elle s'accroche. Il s'agit pour elle de se regarder vivre le grand bouleversement de la mort dans la vie, de comprendre l'incompréhensible et de tenir à distance cette pensée magique qui déforme le réel, nie la mort et cherche à affirmer la réversibilité du temps. La mise en scène de Thierry Klifa, sa première au théâtre, est d'une belle justesse. On devine tout son attachement et le soin qu'il a apporté au projet. Les lumières très travaillées de Julien Hirsch et la musique du brillant Alex Beaupain contribuent aussi grandement à l'élégance du spectacle. Et puis, bien sûr, il y a Fanny Ardant… C'est elle que Klifa a choisie pour faire résonner le combat pour la vie de Joan Didion. La comédienne joue sa partition avec une sobriété et une pudeur qui laissent apparaître toute la beauté, la profondeur et la force du texte. Dits sur le ton de la confidence, ces mots transpercent et font frissonner d'émoi. Dans ce tourment fort de violence, Fanny Ardant, en permanence au bord d'un précipice, semble fournir un ultime effort pour ne pas se laisser sombrer dans un abîme. Mais c'est elle qui, au final, nous emporte comme une vague... Bouleversante et déchirante comme une sonate de Schubert.
<b>Dimitri Denorme</b>
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