" Et à la fin de l'envoi, je touche"
On croyait tout savoir de Cyrano: le contexte historique des cadets de Gascogne, le drame romantique, la tirade des nez, la belle Roxane ...Hé bien, c'était sans compter sur la relecture que Dominique Pitoiset nous propose!
Avec lui, la pièce de Rostand se déroule dans un asile psychiatrique dont le cadre rappelle à bien des égards "Vol au-dessus d'un nid de coucou". Ce choix peut sembler au départ étonnant; et puis, rapidement, il s'avère évident et s'impose au spectateur. En effet ce personnage pris dans le délire verbal de ses tirades, emporté par sa furie belliqueuse, se mettant par ses exigences en marge de la société, cette Roxane qui aime plus les paroles d'amour que l'amour et vit dans le rêve d'une fausse passion, ces va-t-en guerre tonitruants, ces rimeurs sans le sou, ces acteurs outranciers (dont se moquera Molière), ce pauvre Christian incapable d'exprimer ses sentiments... tous ces gens-là sont fous: fous d'orgueil, fous dans leur incapacité à vivre dans le monde "normal", fous de leur originalité. Et c'est là que réside le génie de la trouvaille : ainsi dépoussiérée de ses oripeaux "mousquetaires", la pièce trouve une modernité étonnante; ces personnages avec leurs tics et leurs obsessions sont nos contemporains. Quand Cyrano refuse les compromissions, comme ses déclamations sont d'actualité!
Bien sûr une telle relecture de la pièce devait être servie par des acteurs à la hauteur de l'ambition. Si tous sont très bons, tantôt comiques, tantôt émouvants, Philippe Torreton est grandiose: une diction sans faille, une présence charnelle, un jeu extraordinaire dans la retenue comme dans l'excès...Il tient le spectateur par son verbe, son regard, ses gestes, ses silences.
Le public sous le charme fait une ovation bien méritée à ce beau moment de théâtre.
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